Résumé pour les pressés :
La Souris Grise a organisé à Paris au Labo de l’édition le 13 juin 2016 l’événement « Tablettes en bibliothèques ». Voici le compte-rendu de la première table ronde de la matinée, consacrée aux pratiques et éthiques d’acquisition de ressources applicatives. En partant de la question simple « Les applis, c’est gratuit ? », intervenants et participants ont abordé de nombreuses questions pratiques, techniques, juridiques et éthiques.
Le second compte-rendu de la matinée, celui concernant les témoignages, est disponible par ici.
Le fil à suivre
Lundi 13 juin s’est tenue la seconde édition de l’événement « Tablettes en bibliothèques », #TEB2016.
Cette matinée d’échanges organisée par la Souris Grise a rassemblé 80 professionnels de la culture et de la jeunesse, venus de Paris, d’Île-de-France, du Loiret ou des Hauts-de-France, de Poitou-Charentes ou de Haute-Marne.
Voici le compte rendu de la première table ronde dédiée aux pratiques et éthiques d’acquisition de ressources applicatives. « Dans toutes nos formations autour de la médiation numérique culturelle, la question arrive dans les trente premières minutes : mais au fait, les applis, c’est gratuit ? Et cette question, en apparence anodine, cache de nombreuses autres questions qui font appel au droit, à l’éthique et à la technique », a introduit Laure Deschamps, fondatrice de la Souris Grise et modératrice de la matinée.
À la table ronde, Yanick Gourville et Jean-Marie Moës, formateurs sur les questions de médiation et de gestion de parc, et Odile Flament, la fondatrice de l’éditeur numérique jeunesse, CotCotCot Éditions, ont déroulé, avec l’aide des réactions, avis et questions de la salle, ce que l’on pourrait appeler une pelote applicative.
Mathématiques applicatives
Le débat a d’abord porté sur un questionnement qui fait couler beaucoup d’encre : mais combien d’applications doit-on acheter ? Une pour toutes les tablettes de la bibliothèque ou bien une par tablette ?
Des médiathécaires présents dans la salle ont indiqué qu’ils faisaient pour leur part l’acquisition d’une seule application, via un compte utilisateur unique, une appli portée ensuite sur trois ou cinq tablettes. D’autres structures, comme le réseau des bibliothèques de Paris, ont indiqué qu’elles achetaient autant d’applis que de tablettes.
« Parmi les bibliothèques que nous formons, la pratique de l’achat unique pour un parc de tablettes est fréquente. Elle repose pourtant sur une vraie méconnaissance », a expliqué Yanick Gourville.
Certes les magasins d’applications comme l’App Store et le Google Play proposent la possibilité de lier un compte à plusieurs appareils.
Cela permet à l’utilisateur doté de plusieurs équipements, un smartphone et une tablette par exemple, de bénéficier du contenu qu’il a acheté sur tous ses appareils.
Cette possibilité, compréhensible et appréciable dans le cadre d’une utilisation personnelle, a justement été prévue dans le cadre d’un usage familial et non professionnel.
Néant et vide
Le vide juridique dont tout le monde parle a d’ailleurs vite fait de se combler. Les magasins que sont le Google Play et l’App Store, via un compte iTunes, ne sont pas les seuls interlocuteurs des acheteurs professionnels. Le droit d’auteur existe, ainsi que les contrats éditeurs – qui peuvent de leur côté préciser dans leurs contrats de vente des règles et des limites dans le cadre d’achat et d’utilisation à destination du prêt au public, que ce prêt ait lieu sur place ou chez le lecteur.
Si on se plonge dans les conditions générales des stores, on peut par exemple lire ceci sur iTunes : « iTunes vous concède une licence d’utilisation des Produits. À compter de son achat sur iTunes, cette licence constitue un contrat ayant force obligatoire établi entre vous et l’éditeur de ce Produit (l’« Éditeur ») régissant votre utilisation de ce Produit. (…) Vous reconnaissez en outre que votre utilisation des Produits, qu’ils soient ou non protégés par une technologie de sécurité, sera conforme aux règles d’utilisation applicables fixées par iTunes et les Éditeurs (« Règles d’Utilisation »), et que toute autre utilisation des Produits pourra constituer une violation de droits d’auteur ».
S’il y a un néant juridique concernant spécifiquement le droit de prêt et d’utilisation des applis en bibliothèque, il n’y pas un vide de règles et de contrats.
La bibliothèque, médiatrice ou canal de pub ?
Un autre argument s’est invité dans le débat, argument également très souvent évoqué par les professionnels de la médiation :
« Nous sommes une petite bibliothèque et nous avons deux tablettes, avec un seul achat à chaque fois, a expliqué une personne du public. Mais je considère que nous faisons connaître les contenus des éditeurs en les présentant au public. Je me souviens de parents, à qui nous avions présenté l’application Lil’Red qui ont ensuite, devant nous, acheté et chargé l’application sur leur smartphone. Jamais je n’ai connu cela en présentant des livres papier ! »
Odile Flament, la fondatrice de CotCotCot Éditions, a contre argumenté. « Vous savez, en tant qu’éditeur numérique jeunesse, nous sommes une jeune entreprise, portée uniquement par de l’épargne familiale. Cela demande beaucoup d’énergie, d’investissement et de volonté, sans savoir encore si nous arriverons à nous développer dans ce marché à peine naissant. L’argument que vous avancez n’est pas acceptable pour nous. Vous ne l’utiliseriez d’ailleurs pas pour des livres papiers, même s’il s’agissait de grands éditeurs !, a-t-elle comparé. Les bibliothèques sont avant tout un canal de distribution que nous entendons servir au mieux. Après, que des bibliothécaires aiment particulièrement un titre et en fasse la promotion, cela ne peut être que bénéfique à l’auteur du livre, à la création en général et surtout aux jeunes lecteurs qui sont en demande. «
Et Yanick de rappeler que par ailleurs les prix moyens de vente des applications et livres animés, de l’ordre de 4€, restent très en deçà des autres formes de créations littéraires, « en faisant pourtant appel à de nombreuses nouvelles compétences qui constituent la chaîne du « livre-appli » numérique ». Laure a évoqué de son côté la fragilité du marché de l’édition numérique pour enfant, déjà en cours de restructuration « avec la fermeture de très belles maisons d’édition comme Audois et Alleuil l’an passé. »
Cet argument de la bibliothèque, canal de communication des ressources, est-il avancé pour d’autres contenus numériques ? Nicolas Périsse, de JeuVidéothèque, présent dans la salle, a expliqué que pour le jeu vidéo, le cadre juridique du droit de prêt et d’utilisation publique n’est également pas posé. « Mais par contre les éditeurs, des entreprises bien plus importantes en taille, avouent d’eux même que le marché des bibliothèques ne les intéresse pas ! », a-t-il précisé.
L’applicopillage en question
Au fil des échanges, il est ressorti que les structures culturelles présentes étaient bien conscientes du besoin de soutien de la nouvelle création éditoriale.
Et que l’applicopillage était surtout pratiqué par manque de solution. Car dans le monde très neuf du numérique tactile, les questions d’éthique se mélangent à d’autres problématiques. « Nous aimerions être dans le respect du droit d’auteur et être en accord avec notre discours, a avoué en aparté la responsable d’un réseau de bibliothèques, mais nous n’avons tout simplement aucun budget d’acquisition cohérent ! Faire comprendre à nos élus que la ressource numérique c’est culturel et important, c’est une gageure !»
Au-delà du budget – à prévoir pour pouvoir équiper les tablettes de ressources de référence – les questions pratiques et techniques semblent manifestement constituer de fortes contraintes.
Par exemple, quatre structures seulement, présentes dans la salle, étaient équipées de carte bancaire, carte nécessaire à première vue pour l’achat d’applis au travers des stores. Pourtant, des alternatives existent, a expliqué Yanick. « Comme l’achat de cartes prépayées ou d’une trésorerie d’avances et de recettes ».
Certes, mais comment faire pour simplifier les acquisitions techniquement et légalement ?
Jean-Marie Moës a alors présenté les programmes d’acquisition en nombre, qui peuvent passer par un revendeur agréé : de quoi potentiellement répondre en même temps à l’obligation de passation de marchés publics pour les structures publiques.
« Même si ces programmes sont destinés au monde de l’éducation, il est peut-être possible en tant que bibliothèque d’en bénéficier, en mettant en exergue votre mission d’éducation populaire, a-t-il détaillé. Quoi qu’il en soit, il est important de développer vos relations avec les revendeurs spécialisés, quelle que soit votre plate-forme numérique, car ils possèdent l’expérience et les contacts qui leur permettront de vous accompagner efficacement dans la mise en œuvre de votre projet numérique. Apple éducation est disponible en France. Par contre, le programme d’achat en volume de Google, s’il existe déjà dans plusieurs pays, n’a pas encore été étendu à la France. »
Démêlons la pelote
En partant de la question anodine de la gratuité ou non des applis, c’est une vraie pelote qu’experts et participants ont progressivement déroulée ensemble. Cette table ronde a démontré que des solutions pratiques et techniques existent.
Mais aussi que la question de la médiation culturelle est en numérique bizarrement encore réduite à la machine elle-même. Et que le contenu, qui fait tout l’intérêt de l’expérience sur un support tactile, se retrouve dans les débats relégué au second plan. « Les auteurs ne s’empareront pas de ce médium tant qu’il ne sera pas pris véritablement au sérieux, a lancé Odile. Cantonner l’édition numérique à une expérimentation passagère en bibliothèque contribue à cette fragilité structurelle et ne permet pas de porter des projets éditoriaux à maturité. À en croire les articles récents – tous plus racoleurs les uns que les autres – la tablette aurait déjà fait son temps. Oui, le support peut changer mais l’interactivité reste au centre de la création numérique jeunesse. «
Pendant la pause active de TEB, les formateurs Souris Grise, Yanick Gourville, Jean-Marie Moës, Laure Deschamps et Elisabeth Eon, ont présenté en petits groupes leurs coups de cœur applicatifs ; des créations de référence comme Spot, Phallaina, Bleu de toi ou encore Copain ?, qui démontrent l’inventivité des auteurs et le potentiel du tactile au service de la narration.
Un bibliothécaire, café et petits gâteaux à la main, a bien résumé la problématique. « Lors de la rénovation de notre médiathèque, nous avons été doté de superbes meubles design. Heureusement, nous avons un très beau fonds pour remplir nos nouvelles étagères ! Ce serait tout de même ballot de s’équiper de tablettes sans se poser la question du contenu et des acquisitions, non ? »
Merci de faire connaitre ce problème de droits d’auteur – c’est un peu comme si une blibliothèque décidait de photocopier un livre qu’elle avait acheté une seule fois ! Le problème existe aussi dans les écoles…