Résumé pour les pressés :
Bonne rentrée à Fatima et à tous les enfants de l’école Jacaranda du Malawi avec lesquels nous avons appris et échangé pendant l’été.
Cet article est long, très long même ! Même si le temps s’égrène lorsqu’il nous gêne et qu’il disparaît quand on se plaît, vous ne pourrez ici trouver sérénité si vous êtes impatients ou réellement pressés.
En France comme au Malawi
Grand éclats de rire autour de la grande table. Les élèves sont studieux néanmoins, attentifs et très curieux de toucher l’écran caché par sa housse bleue. Dans la salle la dizaine de postes informatiques a été délaissée. Une tablette prône au centre d’une grande table autour de laquelle huit enfants se sont installés. « Savez-vous de quoi il s’agit ? » Les doigts se lèvent et tous les enfants acquiescent. Un iPad disent quelques uns. « Avez-vous déjà utilisé cette tablette ? » les Oui fusent. « Et quel genre d’applications avez-vous utilisé ? » Les jeux de courses, de construction et les chamboule-tout volatiles sont cités en premier. « Vous savez que l’on peut faire de la poésie avec un iPad ? » Un silence intrigué s’installe. « Ou alors faire un jeu vidéo de maths? » Les regards brillent.
Cette scène là je l’ai vécu en France au mois de Juin dernier avec des élèves d’une école primaire parisienne.
Cette scène là je l’ai vécu au Malawi, il y a quelques semaines, dans l’école Jacaranda à Limbe, à côté de Blantyre, une école qui accueille 400 enfants orphelins, de la primaire au lycée.
Ateliers iPad
A Jacaranda aussi il y a une salle informatique, à peine plus petite que la salle de l’école parisienne. Une salle équipée de PC à écrans plats flambants neufs, plus neufs que ceux de l’école de Paris. Et au milieu de cette salle chaleureuse et colorée, entourée d’une bibliothèque et d’une salle à surprises, une grande table invite aux ateliers et à l’échange.
Partant un mois au Malawi aux abords de Jacaranda, il était prévu d’organiser des ateliers iPad avec les enfants qui venaient jouer dans l’école pendant les vacances. Ce jour là, la proposition a vite fait le tour du groupe d’enfants présents et les candidats à l’expérience numérique ont afflué. Quatre groupes se sont organisés par tranches d’âges des plus jeunes présents – 8 ans minimum – aux plus grands – 17 ans.
Immédiateté
J’ai retrouvé les éclats de rire et l’attente studieuse et curieuse. Et à mon grand étonnement, les premières réactions des enfants ont été exactement les mêmes que celles des petits parisiens. Ils m’ont donné les mêmes réponses aux trois premières questions posées : pour la plupart, ils avaient déjà vu et testé un iPad et avaient surtout joué à des jeux de courses ou de mascotte parlante.
Étonnant car avant de vous raconter notre expérience numérique, il faut que vous compreniez le contexte de Jacaranda. Le Malawi est très fortement touché par le Sida et le pays compte de nombreux orphelins qui n’ont en rien les moyens d’aller à l’école. Les enfants de Jacaranda vivent des situations personnelles terribles : nombreux sont ceux qui s’occupent seuls de leurs frères et sœurs, comme Fatima, qui a 12 ans a la charge de deux petites de 3 et 4 ans.
Choc éducatif
Quand on fait le tour du village et que l’on entre dans les maisons, on prend conscience de la réalité de leur vie. Dans certaines maisons, il n’y a absolument rien. Pas de lit, pas de chaise, pas de table, pas de quoi faire le repas. Quatre murs nus. Une sensation étrange vous envahit. Et le mot « éducation » prend soudain un sens bien différent : la seule voie d’espoir des enfants, c’est l’école. Sans parents pour les aider et les aimer, sans argent pour survivre, sans transmission adulte / enfant, les enfants ont comme principal repère leur école.
Une école qui les accueille et surtout qui leur montre l’exemple. C’est ainsi que l’on trouve partout dans Jacaranda des plantations pour que les enfants sachent comment cultiver et récolter car ils n’ont pas forcément d’adultes pour leur enseigner. L’école en quelques années s’est dotée d’une infirmerie pour suivre les enfants, fournit du porridge et a ouvert son programme d’aide aux enfants les plus démunis. Jacaranda est un projet ambitieux et très réputé au Malawi, qui réussit à mener et accompagner ses enfants à des études supérieures.
Apprendre, c’est vital
Car cette école est aussi et d’abord un lieu d’éducation. Et contrairement à ce que l’on pourrait se dire, il s’agit d’une école exigeante qui veut que ses élèves réussissent. Les enfants le savent d’ailleurs. Fatima, la petite fille de 12 ans qui vit dans une fratrie de 7 enfants sans adultes aidants, est la première de sa classe. Et elle fera tout pour garder ce niveau cette année. Elle fait partie du programme d’élite de Jacaranda, elle reçoit des livres, elle ne lâchera pas l’affaire. Car étudier c’est pouvoir vivre. Apprendre – au sens premier du terme – c’est vital.
La première fois qu’on entre dans Jacaranda, on ne voit rien de tout cela : les enfants jouent au basket dans la cour, les ados rient en groupes, les plus petits se poursuivent et se cachent. Et quand l’heure des ateliers arrivent, les voici autour de la table.
Il va sans dire qu’à part quelques grands disposant d’un compte Facebook, les usages numériques des enfants en dehors de l’école sont quasi inexistants. Ils sont néanmoins au courant et avaient déjà pu tester à l’école une tablette. Et aucun d’entre eux n’a eu une hésitation quelconque devant l’usage de cet écran. John, un enfant de l’école, avait même, en remportant un concours de nouvelle organisé au sein du Commonwealht, présenté une tablette à la reine d’Angleterre.
Et le professeur d’informatique, Mr Koffee, anime un club qui réfléchit à développer ses propres applications.
Dans mon rêve d’école
Nous avons testé les mêmes applications que celles proposées lors de l’atelier organisé dans l’école parisienne.
Tout d’abord le superbe Dans mon rêve d’eToiles éditions qui décidément s’adapte à merveille à une découverte en groupe. Chacun son tour, les enfants étaient invités à composer leur propre poésie, en faisant glisser les bandes d’images et de textes. Puis à lire leur production éphémère.
Quand je leur ai demandé de lire, l’inquiétude s’est perçu : au Malawi il y a deux langues, l’anglais et le Chichewua et pour certains des participants, l’anglais est difficile à la lecture. Alors nous avons écouté la jolie voix nous lire la création composée et et le tour de table s’est poursuivi. Une fois toutes les créations prises en photos via l’application, nous avons regardé doucement le petit livre de poésie ainsi constitué. Les enfants ont adoré !
Ensuite, nous avons découvert Un jeu d’Hervé Tullet. C’était un choix précis car Hervé Tullet est allé à Jacaranda en septembre 2012 et y retourne dans quelques semaines. Un mur extérieur de l’école accueille une grande fresque qu’il a réalisé avec les enfants et un mur intérieur une création de l’artiste. Avec son application, on a créé un feu d’artifice multicolore en quelques secondes qui a beaucoup animé la tablée :
Maths en tête
Puis nous avons essayé Math Mathews, du jeu vidéo de maths. A nouveau les réactions ont été les mêmes que les petits parisiens : l’envie des maths a été la plus forte. Même si des multiplications simples ont parfois posé souci aux testeurs, certains ont enchaîné les succès.
Nous avons également créé des personnages et compositions avec Faces iMake et les enfants ont inventé leur film avec ToonTastic.
La tablette pour les grands ?
Dans le dernier groupe, deux jeunes filles sont arrivées accompagnées d’une toute petite, de 3 ans environ. Les grandes l’ont installé sur le côté en lui demandant de rester sage.
En fin de séance néanmoins, j’ai demandé à la petite de venir elle aussi et j’ai ouvert la maison de poupée pour qu’elle joue à sa guise. Mais les grandes filles en ont été presque choquées : elle était bien trop jeune à leur goût pour qu’elle ait accès à tel objet. Elles lui prenaient les mains pour l’aider à toucher l’écran, pensant qu’elle ne saurait rien faire seule et l’ont vite renvoyé pour profiter de la tablette.
Je ne les ai pas contredite mais suis restée pensive de voir comment nous valorisons les apprentissages et l’éveil numérique dés les premiers mois de la vie.
Appel au partenariat
Pour Mr Koffee, avec qui j’ai préparé les ateliers, le premier atout de la tablette est d’abord celui de la langue anglaise. Nous avons manqué de temps pour tester avec les enfants des livres numériques mais c’est un axe qui lui semblait extrêmement pertinent. Et plus facile sur tablettes que sur ordinateurs. L’outil pourrait être mobile dans les classes, et la consultation d’applications n’est pas dépendante d’une connexion Web – les coupures électricité et les difficultés de connexion étant fréquentes.
Jacaranda ne manque pas de livres papiers, les enfants les ont même dessinés sur les murs de l’école, la bibliothèque les incitent à lire, à découvrir, à étudier. Mais un complément numérique serait bienvenue pour aider à la prononciation et ouvrir de nouvelles pratiques d’apprentissages aux professeurs de l’école.
Editeurs et fabricants de tablettes – les ordinateurs par exemple ont été offert par Microsoft à la fondation – si le projet de Jacaranda vous interpelle, faites-nous signe : La Souris Grise est en train de préparer un partenariat avec l’école, afin d’étudier dans une première phase quels matériels et applications seraient les plus pertinentes et de voir dans un second temps comment les offrir à l’école.
Cette semaine, c’est la rentrée des classes à Jacaranda.
Bonne rentrée à Fatima et tous les enfants !
Pour en savoir plus et aider le projet de Jacaranda : http://www.jacarandafoundation.org/
Et pour laisser le dernier mot aux enfants, voici une vidéo réalisée par eux pour présenter les activités organisées au sein de l’école :
waouh ! je n’ai pas encore tout lu, je mele garede pour ce soir, au calme ! c’est très enrichissant et surtout émouvant ! Bravo, belle experience et bel article.
Très beau témoignage, merci.
Certains livres numériques interactifs proposent des « karaokés de lecture », qui sont très adaptés pour l’apprentissage des langues (les contes de ChocolApps par exemple).
Et il n’y a pas à dire, la voix d’un vrai lecteur, comme dans l’application « Dans mon rêve », est vraiment plus agréable que la voix de synthèse de la tablette (même si celle-ci reste très pratique, notamment en terme d’accessibilité).
Un outil pédagogique vraiment fantastique en tout cas, qui traverse les frontières !